Logo de Yvonne Calsou

Démarche artistique

La pratique d’Yvonne Calsou est plurielle : dessin, photographie, vidéo, son, installation. Elle est souvent basée sur une économie de moyens et le détournement de matériaux pauvres. Son geste artistique cherche à faire apparaitre la forme par l’effacement ou le retrait de matière.
De scientifique, elle est devenue artiste et ce n‘est plus uniquement par une recherche de connaissances mais aussi par une approche sensible qu’ elle explore le monde et sa «transformation silencieuse» pour reprendre les mots du philosophe François Jullien.
Depuis 2018, elle est basée aux ateliers du 27, Lieu Commun Artist Run Space, Toulouse.

Temps & Espace

Si Yvonne Calsou s’intéresse à la notion du temps, elle travaille non pas sur le temps, mais avec lui. Ses projets impliquent autant la régularité, la patience que la capacité d’accueillir l’imprévu. Dans certains, la temporalité de réalisation mise sur un futur qui interroge le devenir des formes et celui, incertain, d’une Nature changeante. Le plus souvent elle propose des dispositifs in-situ qui intéragissent avec le lieu et qui s’appréhendent différemment en fonction du temps en mouvement.
Depuis peu, elle cherche à intervenir aussi sur des lieux insolites (friches urbaines, ruines, fermes…) afin d’introduire dans son travail un trouble consécutif à ces lieux non dédiés à la diffusion de l’art. Plus que d’y produire de nouveaux objets, à partir de gestes très simples, ses interventions s’inscrivent quasiment silencieusement dans l’espace.

 

Textes critiques d’art

 

Sylvie Veyrac, commissaire d’expositions, Entracte, espace d’art contemporain à Nailloux – 2023

Saisir la lumière fugace des ombres, observer l’écoulement silencieux du temps, tenter de le mesurer par l’effacement puis la trace, cartographier la mémoire par le percement de trous d’épingle dans le papier pour renouer avec les bribes lointaines de l’enfance…
Yvonne Calsou vit son œuvre à l’instant et éprouve la substance du temps à travers de multiples expériences plastiques, sonores, visuelles. La disparition, qui fait suite à l’effacement, tel le e dans le roman éponyme de Georges Perec, affirme la présence de ce qui a été, est encore, et ne sera plus peut-être un jour.

A travers cette inextinguible quête de l’éphémère, Yvonne Calsou expérimente le ruissellement des secondes, des jours, des saisons. L’œuvre se construit avec et dans l’espace investi, en utilisant les flux et perceptions qui s’y succèdent, réveillant ainsi la mémoire du lieu. La lumière y révèle les silences et les ombres dessinent les formes. L’espace prend vie par la main, le regard ou l’écoute de l’artiste, l’œuvre émerge, simplement. Imprégnation. Patience.
Les photographies d’Yvonne Calsou figent un instant de lumière fugitive, les dessins, en se les appropriant avec force, les réinventent, le passage au négatif se joue parfois des ombres. Ses vidéos où défilent lentement des images fantômes interrogent le temps et renversent l’espace, ses fenêtres aux rideaux figurés tracent au sol et sur les murs festons et guipures. Enfin, ses cartographies célèbrent la blancheur et le silence de la mémoire enfuie, épinglée, percée, fragiles tentatives de restitution, dentelles de papier suspendues, livrées au souffle d’une brise venue d’ailleurs.

Sylvie Veyrac, Nailloux, 2023

Madeleine Filippi, Critique d’art membre de l’AICA, 2021

Une cartographie de l’absence comme ode au temps

Empreintes, traces, effacements… quel que soit le médium, Yvonne Calsou joue avec la matière et son absence.
Depuis 2017, on décèle un nouvel aspect dans sa démarche, des œuvres sur papiers perforés, plus intimes, dans la lignée des artistes utilisant la «mythologie personnelle», dont les figures de proue en France sont Annette Messager, Sophie Calle ou encore Christian Boltanski. Là où l’intime triomphait parfois de manière outrancière, Yvonne Calsou appartient, elle, à ces artistes où l’intime fusionne avec l’expérience universelle, devenant un récit parmi tant d’autres possibles.

Dans les dessins perforés d’Yvonne Calsou, la forme apparaît en négatif pour révéler la lumière et donner vie à l’œuvre, et convoquent ainsi le paradigme du fragment.
Ce travail à l’aiguille par perforation de différents types de papiers permet à l’artiste de tisser une cartogra- phie du temps, qu’il s’agisse d’un souvenir comme dans l’œuvre Sainte-Sigolène, ou de l’attente, dans Em Espera. Ces deux œuvres témoignent du recours à la cartographie dans la démarche d’Yvonne Calsou, chez qui elle joue de paradoxe. Vous l’aurez compris, il n’est pas question seulement de territoire et de sa géographie, elle a un rôle hautement symbolique et poétique. Le dessin est obtenu par le retrait de la ma- tière, un travail épuré où le vide et la lumière s’incorporent et se côtoient, dans une dynamique graphique de l’apparition. Ces œuvres sur papier et calque s’inscrivent silencieusement dans les espaces qui les accueillent, contraignant ainsi à une promiscuité, voire à une intimité avec l’œuvre. Convoquant un temps de silence, de latences… le temps pour notre œil d’y dé- couvrir l’ensemble des recoins, des récits possibles. Après les avoir décelés, on est tenté de les toucher. L’art d’Yvonne Calsou est charnel, il attise nos sens. Comme si les toucher pouvait convaincre notre esprit que ces œuvres, ces territoires ont bien existé.
À partir d’un geste très simple et pourtant laborieux de la perforation à l’aiguille, du fait de sa répétition, l’artiste exhorte la notion de souvenir. Tel un fil rouge que l’on tire pour remonter à la surface de notre mé- moire, chaque perforation laisse entrevoir l’extrême douleur du processus mnésique et de son aspect souvent lacunaire. Les trous symbolisent tout autant les oublis et les absences au sein du processus mé- moriel. L’imprévu de la lumière peut rendre visible ou dissimuler l’œuvre en partie ou dans sa globalité. Ces jeux permettent alors d’interroger également la notion de faux-semblant.

Cartographier un souvenir, c’est faire appel à une forme d’ars memoriae bien qu’il n’en soit ici pas clairement question. Dans l’œuvre Sainte-Sigolène, Yvonne Calsou se réapproprie des photographies prises par satellite d’un terrain familial auquel elle n’a plus accès. L’œuvre est réalisée sur du papier d’imprimante percé à l’épingle de couturière, formant un tout de neuf pages. Ce n’est pas pour autant une seule et même feuille, elle travaille sur plusieurs morceaux, tels des fragments réunis ensemble, ils for- ment maintenant un territoire, un espace morcelé : ils deviennent une carte. Cependant, il est impossible de reconnaître clairement l’endroit, sans l’indication du titre de l’œuvre. Ce recours à la photographie satellite qui nous offre des vues malgré tout pixellisées résonne ici au pointillisme rendu par les perforations successives. Dans ce travail, le rythme régulier du perçage du papier fait écho à celui des pas arpentant le territoire. Cette métamorphose de l’image cherche autant à donner à voir qu’à éprouver la matérialité de ce territoire inaccessible. Cette série a pris fin le jour où l’artiste a pu finalement y retourner physiquement. Chaque trou — absence de matière — fait apparaître un souvenir du lieu qui revient à l’esprit. Une piqûre de rappel de l’oubli dans lequel l’endroit est plongé sans l’exercice de la réminiscence.
Par cette déambulation cartographique, l’artiste remonte dans ses souvenirs lacunaires pour donner vie à cet endroit. Elle ne raconte pas un récit, le spectateur est libre de se plonger dans ses propres souvenirs et d’expérimenter « l’écho » de la réminiscence.
Ce jeu de strates de lectures, comme autant de souvenirs qui surgissent, est au cœur de la démarche de l’artiste. Les titres des œuvres viennent donner un indice au public dans sa compréhension de l’œuvre, mais là encore de manière lacunaire.
Dans Em Espera, difficile de savoir ce que nous donne à voir l’artiste. Une bactérie qui prolifère, un état cellulaire, un tissu neuronal, etc. ? Chaque œuvre de cette série reprend un motif issu de carnets à dessins que l’artiste a débutés au feutre en 2016 lors d’un séjour à l’hôpital de Rio de Janeiro qu’elle va ensuite reproduire et agrandir sur du papier Canson percé à l’épingle de couturière. Seul indice, le titre en langue étrangère : « Em Espera » signifie en Brésilien « en at- tente », « en suspens ». Rien de plus. C’est en fait ce qu’il y a d’inscrit sur les machines d’aides médicales (respirateurs, électrocardiogrammes, etc.), quand elles sont en attente de traitement de données. Ces dessins automatiques sont des cartes mentales de l’artiste lors de ses temps d’attente à l’hôpital, elles sont une «manifestation de la ponctuation irrégulière du temps1 ». En effet, à certains endroits, la multitude des trous va créer un effet de matière différent, une boursouflure, un état changeant.

Avec un geste minimal d’une grande poésie, Yvonne Calsou a recours à la cartographie et son traitement par perforations pour traiter de l’aspect lacunaire de la mémoire. Elle joue sur l’ambivalence continuelle dans ses œuvres entre absence et révélation. Cartographier, c’est se positionner dans le temps et l’espace alors même que le processus mnésique est connu pour son aspect lacunaire. La cartographie, qu’elle soit mentale ou bien rattachée à un lieu existant, est chez Yvonne Calsou un véritable poème, une ode au temps, rappelant tour à tour le nécessaire exercice de celui-ci, ses lacunes mais aussi le trouble et la violence qu’il peut créer pour ceux qui en font l’expérience. Chaque perforation suggérant cette iné- luctable fuite du temps et de nos souvenirs morcelés.

Texte de Madeleine Filippi, extrait du livre « Fragments » Naïma Édition 2021
Critique d’art membre de l AICA France

Entretien avec Yvonne Calsou, Lieu Commun, Toulouse, décembre 2020.

Sylvie Corroler, commissaire d’exposition et directrice de la fondation Écureuilà Toulouse, 2015

Une douceur qui fait mal

J’ai vu les films, une fois, assise confortablement dans un salon.

Aujourd’hui, à mon bureau, la clef usb à côté de moi, les films sont là, à portée de main ; je ne les regarde pas tout de suite et j’écris le souvenir, car c’est de ça qu’il s’agit.

J’ai dit Yoko Ogawa. (Elle a dit Annie Ernaux. Oui, aussi.)
« Quand j’hésitais entre garder ou jeter, je choisissais toujours de jeter. La sensation de netteté que j’éprouvais au moment où toutes ces choses bourrées de vieux souvenirs quittaient mes doigts m’était agréable. » *

Comme cela est facile avec les choses, la matérialité. Jeter et oublier.
Mais le souvenir ne fonctionne pas ainsi.
Dans son silence qui revient sans cesse, il y a du flou et du bruissement, quelque chose de la ténacité.
Cette ténacité est ici dans des images presque fixes d’un ciel, d’un arbre, d’une photo d’enfant. Des vidéos comme de courts écrits, percutants, qui oscillent entre rêve et cauchemar. Pas de narration. Le souvenir n’est pas une histoire qu’on raconte, c’est une trace, une image, un bruit, un son, une musique. Et c’est un collage qui fait surgir la voix des morts et celle du temps ancien, sans exubérance, avec même une certaine douceur :
une douce nostalgie horrifiante.

Entre la mémoire et l’oubli, le malaise est obsédant. Les images sont bienveillantes, les films sont implacables.
Et le doux éclat de lumière brûlera toute l’image, dans un effacement total et douloureux.

La douce douleur de gratter ses plaies en voie de guérison, afin de retarder l’effacement que l’on souhaite et que l’on redoute. Car on ne peut se séparer de cette idée idiote : la peur de disparaître en même temps que cette sourde douleur qui nous accompagne depuis si longtemps et dont on dit qu’on aimerait se débarrasser. Alors, croyons-nous, nous voyagerions légers, si légers.

Finalement, entre la première phrase et la dernière, j’ai revu les films et cette fois, pour Les limbes, j’ai pleuré.

Sylvie Corroler, (directrice de la Fondation espace écureuil)

Toulouse, Juin 2015

* Yoko Ogawa, Un thé qui ne refroidit pas

Entretien avec Art Talk Write, mars 2021.

ATW : Tout d’abord Yvonne, veuillez nous dire ce que le temps et l’espace signifient pour vous ?

YC : Le temps et l’espace sont des notions qui sont intimement liées pour moi : Ce qui m’intéresse dans le temps, c’est l’impossibilité que l’on a de le définir vraiment, de le saisir ou de restituer une perception exacte de son expérience. Soit on le fige, soit on le découpe, soit on le symbolise, soit on essaye d’en montrer les effets. Quant à l’espace, c’est le milieu où je vis, où je suis dans l’instant. Mais c’est aussi l’espace avec lequel je vais jouer pour questionner cette notion du temps et dans lequel j’y inscrirai l’œuvre…

ATW : Pourquoi avez-vous été amenée à utiliser le temps et l’espace comme thèmes sous-jacents de votre pratique ?YC : Cette fascination pour ces thèmes est liée à mon enfance où très tôt j’ai compris les méfaits du temps et la fragilité des choses. J’ai vécu à la campagne dans un lieu chargé de plus de 2 siècles d’histoire familiale. Élevée dans le culte du passé, j’en percevais toutefois les drames et, à travers certains indices, l’annonce d’une certaine déchéance sociale. Hantée par ce passé nostalgique, je me suis construite une représentation romantique du monde. A l’opposé, et paradoxalement, le lien étroit tissé avec la nature environnante m’a fait découvrir la puissance de la vie animale et végétale, l’éternel recommencement des saisons, et des cycles de vie. Dans cet environnement naturel, j’ai ressenti l’importance du moment vécu ; saisir une lumière, une ombre ou tout micro-événement lié au lent rythme de l’évolution de la nature. Et maintenant je questionne cette mise en tension des perceptions du temps présent dans des lieux porteurs de mémoire. Ou, pour reprendre ce qu’écrit Joël Baqué dans La mer, c’est rien du tout (2016), j’interroge comment le passé fait scintiller le présent.

ATW : Pouvez-vous expliquer comment vous utilisez le temps et l’espace dans votre pratique comme « matériel » ? Et comment cela influence-t-il votre choix de supports ?

YC : Je cherche à jouer avec les différentes facettes du terme « temps ». En fonction des projets, je peux m’intéresser à la mémoire, à la fugacité de l’instant ou à l’éphémère. Parfois je traite ensemble toutes ces dimensions en me servant de la référence au cycle des saisons. Souvent, plus qu’un matériau ou un thème, le temps fait partie du processus de création. Le choix du support se fait selon le lieu où je suis, et ce que j’y vis. Cela peut-être une vitre, un mur, du papier, des tissus, le sol, etc… Le médium s’impose de lui-même en fonction du projet. La photo permet de saisir l’instant, le son donne à percevoir un écoulement, une durée (contrairement aux images filmées, on ne peut faire d’arrêt sur son). Pour dessiner, j’utilise des matériaux non pérennes avec des gestes créatifs qui évoquent eux aussi la fragilité des choses : effacer, retirer, percer, décolorer. Je convoque aussi la lumière pour produire des dessins fugaces qui évolueront dans l’espace.

ATW : Comment l’année 2020 où notre conception du temps et de l’ espace a considérablement changé a-t-elle affecté votre perception et votre relation à ces thèmes ?

YC : Avec l’année 2020, c’est dans mon quotidien que j’ai été confrontée de manière radicale à ces notions d’espace et de temps. Tous mes projets s’annulaient les uns après les autres et le flou sur une éventuelle reprise m’a obligée à vivre et à créer dans l’immédiateté de l’instant sans me projeter dans un quelconque avenir. Juste créer. Mais dans cet espace-temps rétréci le plus dur a été ce sentiment d’être cloîtrée dans un lieu sans autre horizon que la maison d’en face ou de hauts murs.

ATW : Comment cela s’est-il répercuté sur votre pratique artistique ?

YC : J’ai du coup eu envie de transcender ce manque d’air et d’espace en cartographiant par perçage du papier un lieu-dit où j’aime aller, Sainte-Sigolène (voir photos ci-dessous). Le rythme régulier du perçage du papier faisant écho à celui des pas arpentant le territoire. J’ai aussi repris d’anciennes pistes mises de côté : regarder par la fenêtre le temps évoluer au fil d’une journée ou restituer la transformation du jardin avec l’arrivée du printemps (voir la série Et par la fenêtre, regarder l’écoulement du temps : https://vimeo.com/399494054).

ATW : Vous intégrez à la fois des environnements naturels et des espaces urbains dans votre travail. Comment choisissez-vous les sites où vous intervenez ou à partir desquels vous créez un projet ?

YC : Que cela soit en ville ou à la campagne, je recherche pour mes interventions des lieux en transitions en attente d’un nouveau destin ou fraîchement rénovés pour un changement de destination. Le site idéal est celui où je peux exploiter des artefacts du passé, réactiver une mémoire tout en donnant à percevoir et ressentir l’écoulement du temps. Je cherche aussi des lieux offrant la possibilité que l’œuvre ou une partie de l’œuvre soit visible depuis l’espace public. Cela permet ainsi de provoquer une surprise, d’interpeler les passants dans leur quotidien. Les titiller dans leur rapport au monde de manière poétique par une lumière insolite, une ombre inhabituelle, un dessin qui ne devrait pas être là.

ATW : Avez-vous une anecdote intéressante à partager sur un lieu à laquelle vous feriez référence dans un projet spécifique ?

YC : Je pense au projet au long court Depuis la 5ème fenêtre, 3ème étage, côté Empalot (2010-2020) réalisé à la Maison des associations à Toulouse (voir le diaporama ci-dessous). L’histoire de ce projet illustre bien comment la création se nourrit des hasards et des contretemps. Il y a 10 ans, j’avais décidé de documenter l’apparition d’un nouveau quartier sur la friche de l’ancienne caserne Niel à Toulouse. Je m’étais donné comme contrainte de photographier régulièrement depuis la même fenêtre l’évolution du paysage autour du platane resté au milieu de la friche. Mais très vite l’arbre a été coupé pour permettre des fouilles archéologiques. Après des hésitations j’ai continué. Une fois les fouilles finies, la friche a servi plusieurs années de lieu de stockage et de tri de résidus de terrassement. Ce n’est que 7 ans après le démarrage du projet que le chantier de construction a été lancé. Le terrain a été nettoyé. L’idée m’est venue d’en profiter pour créer le dessin in situ l’ombre (2017), hommage à l’arbre disparu (voir la photo sous le diaporama ci-dessous). Réalisé à la chaux, ce dessin de plus 40 m de long était visible depuis la fenêtre d’où je prenais les photos. Le réaliser m’a demandé une semaine. Tous les matins à mon arrivée, j’étais accueillie par des corneilles cherchant des graines sur la friche, me donnant ainsi l’illusion parfaite d’être dans un labour en plein centre-ville. Petit à petit, la végétation a repris ses droits, coquelicots et autres simples ont fleuri. Puis 6 mois après, il a été détruit par les bulldozers. Maintenant il y a 5 barres d’immeuble autour d’un jardin privatif.

ATW : Pour faire suite à cette idée, la restriction de nos mouvements en 2020 vous a-t-elle amenée à découvrir de nouveaux espaces ?

YC : Le 22 Novembre 2020, je devais investir un espace proposé à Toulouse par le Salon Reçoit*. Avec le deuxième confinement, je ne savais comment faire pour honorer cette invitation. J’ai décidé de me saisir de la visibilité que nous offre internet sans toutefois proposer une exposition virtuelle. Aussi j’ai créé une pièce sonore et visuelle, Au son des bois (https://vimeo.com/481731271). Elle est une brève suggestion de ce qu’aurait pu être ce 22. A travers l’évocation sonore du lieu et l’audio description d’une œuvre, il est proposé d’expérimenter un autre rapport à l’art. Rien n’est vraiment dévoilé et l’œuvre n’existe que par l’image mentale créée par le regardeur-écouteur. Cette vidéo a été été diffusée en live le jour dit sur les réseaux sociaux.
*Le Salon Reçoit est un atelier d’artiste à Toulouse qui, depuis 20 ans, organise un événement culturel (exposition, performance, conférence) tous les 22 du mois pour une soirée seulement (https://tousles22.co/).

ATW : Vous avez un atelier au Lieu Commun, Artist Run Space, à Toulouse. Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

YC : Je suis en train de développer un projet débuté en octobre 2020, nommé needle maps, qui reprend ce travail de cartographie de lieux où je ne puis plus être. Cette fois-ci il s’agit de lieux où j’ai grandi, enfant. Ce travail est basé sur la réappropriation de photographies prises par satellite. Cette métamorphose de l’image par le percement du papier cherche autant à donner à voir qu’à éprouver la matérialité texturée du territoire inaccessible.

ATW : Enfin, voulez-vous nous faire part de l’un de vos futurs projets ?

YC : Dans mes œuvres éphémères au blanc d’Espagne, telles que Uchronie (2020), la question de l’apparition et disparition de l’image (physique ou lumineuse) est récurrente. Je viens de remarquer qu’une fois les dessins au blanc d’Espagne effacés des vitres, ils réapparaissent sous l’effet de la vapeur, créant une sorte de réminiscence furtive et fantomatique de l’image disparue. Ce qui m’a donné l’idée d’une performance, Et des nuages, qui devrait avoir lieu à Toulouse, le 12 novembre 2021 lors de l’épisode 2 des XXIVe Rencontres Internationales Traverse.